Le livre retrace une décennie au cours de laquelle Ghirri a bâti un corpus d’images en couleur sans équivalent dans l’Europe de l’époque. Géomètre de formation, Luigi Ghirri commence à photographier durant le week-end au début des années 1970, arpentant les rues, places et faubourgs de Modène, échafaudant des projets et des thématiques. Il pose sur les signes du monde extérieur un regard attentionné et affectueux en observant, sans les commenter ouvertement, les modifications apportées par l’homme au paysage et à l’habitat de sa province d’origine, l’Émilie-Romagne, baromètre d’un vernaculaire local exposé à l’avènement de nouvelles formes d’habitat, de loisirs et de publicité. « Je m’intéresse à l’architecture éphémère, à l’univers de la province, aux objets considérés comme de mauvais goût, kitsch, mais qui, pour moi, ne l’ont jamais été, aux objets chargés de désirs, de rêves, de souvenirs collectifs […] fenêtres, miroirs, étoiles, palmiers, atlas, globes, livres, musées et êtres humains vus par l’image. »
À la fin de cette décennie, Luigi Ghirri a accumulé des milliers de vues et élaboré un style singulier et un cadre conceptuel complexe pour présenter son travail. Cette première décennie culmine avec deux temps forts : la publication, en 1978, de Kodachrome, un ouvrage photographique véritablement exceptionnel, et une exposition majeure, « Vera Fotografia », qui se tiendra en 1979 au centre d’exposition de l’Université de Parme, organisée par Arturo Carlo Quintavalle et Massimo Mussini et qui, à travers quatorze projets et thèmes, retrace le mode de pensée et d’action propre à Luigi Ghirri. « Cartes et territoires » reprend la cartographie poétique de l’exposition de 1979 où l’on trouvait à la fois des projets très cadrés comme Atlante (1973), constitué de photographies de pages d’atlas, et Colazione sull’erba (1972-1974), où l’artiste observe l’interface entre artifice et nature dans les petits jardins de Modène, et des groupes plus diversifiés comme Diaframma 11, 1/125, luce naturale (1970-1979), qui portent sur la façon dont les gens photographient et sont photographiés, ou le paysage des signes de l’Italie provinciale dans Italia ailati et Vedute (1970-1979).
Luigi Ghirri éprouve une fascination indéfectible pour les représentations du monde, pour les reproductions, images, affiches, maquettes et cartes et pour la façon dont ces représentations s’insèrent dans le monde, en tant que signes au sein de la ville ou du paysage. La médiation de l’expérience par l’image dans une Italie partagée entre ancien et nouveau a constitué, pour Luigi Ghirri, une source inépuisable d’étude, « une grande aventure dans le monde de la pensée et du regard, un grand jouet magique qui réussit à faire coïncider miraculeusement notre connaissance adulte et le fabuleux monde de l’enfance, un voyage continu dans le grand et le petit, dans les variations à travers le règne des illusions et des apparences, des labyrinthes et des miroirs, de la multitude et de la simulation. »